On se trompe lorsque l’on imagine qu’une théorie naît de l’observation des faits. C’est tout le contraire. Il faut croire d’abord à quelque chose – de préférence : à n’importe quoi – pour que deviennent ensuite visibles les faits et qu’ils puissent constituer l’objet éventuel d’une quelconque observation. Ils fondent, prétend-on, la théorie que l’on a élaborée à partir d’eux. En vérité, ils ne se mettent à exister qu’une fois constituée la théorie à la vérification de laquelle ils servent ensuite. Le phénomène opère de lui même. Le spectacle du monde s’organise spontanément et il souscrit systématiquement à l’interprétation à laquelle, originellement, on avait accordé une foi arbitraire. On en arrive vite à ne plus pouvoir dire qui vint en premier. La réalité ne se distingue plus de son reflet mental. Plutôt : elle semble n’être que le reflet de ce reflet qui passe dès lors pour la seule réalité qui soit.
Philippe Forest