Notre pauvre petite vie de terriens, quelque part dans le temps, quelque part dans l’univers, notre pauvre petite vie de vivants, entre naître et mourir, entre rien et rien, entre tout et tout, notre pauvre petite vie d’humains, exposée toujours à l’amour et à la souffrance, à la solitude et à la rencontre, et cela fait si peu de choses que cela tient, ou à peu près, dans une enveloppe… Pas de quoi en faire une histoire, pas de quoi en faire un roman. Juste le temps de vivre un peu, d’aimer un peu, d’écrire un peu – juste le temps d’envoyer quelques lettres… Je t’écris pour te dire que je t’aime et que je vais mourir, pour te dire que je suis vivant, encore, vivant, et bien heureux d’être ton ami, et bien heureux d’être ton amant. « Dans la mesure où nous sommes seuls, l’amour et la mort se rapprochent. » Cela, qui fut écrit dans une lettre, dit la vérité de toutes.
Nos lettres nous ressemblent, pour peu que nous le voulions, et même, parfois, quand nous ne le voulons pas. Fragiles comme nous. Dérisoires comme nous. Belles, parfois. Pauvres et précieuses, banales et singulières, presque toujours. Un peu de notre âme est glissé là, dans la minceur d’une enveloppe. Un peu de notre vie, dans la folie du monde. Un peu de notre amour, dans le désert des villes.
André Comte-Sponville