Difficiles à dire, les sentiments préfèrent parfois s’écrire : petits billets ou grandes lettres, expression effusive et débridée ou voilée sous l’humour, poèmes timides ou flamboyants.
Les sentiments s’écrivent pour être plus libres de se dire à leur rythme, en l’absence du regard de l’autre. Mais ils prennent alors le risque de ne pas savoir comment ils vont être reçus. Ils ne se voient pas cheminer sur le visage de l’autre, s’inscrire dans le papillotement d’un regard, dans le tressaillement d’une bouche, dans l’émotion d’une respiration soudain plus ténue…
L’autre, souvent pudique, ne fera pas allusion aux mots écrits ou parfois avec tant de retard que la rencontre sera… passée. Cette absence de réponse ouvrira les portes de l’imaginaire de l’auteur de la missive, en alimentant son dialogue intérieur : « Il a peut-être trouvé ma lettre ridicule, elle n’a sans doute pas compris ce que je tentais de lui dire… »
Les lettres d’amour s’écrivent essentiellement dans des situations d’absence, de séparation, de perte. Les sentiments se formulent alors et se poétisent sur un mode quasi automatique. Dans le manque des mots sublimes, des expressions voluptueuses, charnelles, déchirantes de beauté, arrivent à nos lèvres muettes et s’inscrivent sur le papier. Pour laisser justement la trace de l’indicible, pour témoigner quand même de l’incroyable remue-ménage de l’amour. Nous voudrions dire le travail de l’amour qui est à l’oeuvre chez l’aimant et parfois chez l’aimé.
L’écriture s’accomplit dans le sentiment d’une urgence, dans l’éclat d’une violence et d’une tendresse mêlées. Les mots se font chair, ils se font élans pour retrouver l’absent, pour se rapprocher de lui, pour l’étreindre, le saisir, l’envelopper, le garder encore un peu.
Les lettres d’amour sont des textes merveilleux que nous devrions laisser à nos petits-enfants.
Jacques Salomé