Ce défi du tabou

Pourquoi sommes-nous concernés par l’art ? Pour dépasser nos frontières, aller au-delà de nos limites, remplir notre vide – pour nous accomplir. Ce n’est pas une condition, mais un processus au cours duquel ce qui est sombre en nous devient lentement transparent. Dans ce combat avec la propre vérité de chacun, cet effort pour arracher le masque de la vie, le théâtre avec sa perception par la chair, m’a toujours semblé une sorte de provocation. Il est capable de se défier de défier le spectateur en violant des stéréotypes acceptés de la vision, du sentiment et du jugement – le défi est d’autant plus grand qu’il est incarné par la respiration, le corps et d’autres impulsions de l’organisme humain. Ce défi du tabou, sa transgression, provoque le choc qui arrache nos enveloppes, nous permettant de nous offrir à nu.

Jerzy Grotowski

Harmonie, analogie

L’art, c’est l’harmonie. L’harmonie c’est l’analogie des contraires, l’analogie des semblables, de ton, de teinte, de ligne, considérés par la dominante et sous l’influence d’un éclairage en combinaisons gaies, calmes ou tristes…
Georges Seurat

L’humilité face à la maladie

Je crois surtout que je me suis laissé aller à une sorte de péché d’orgueil, car j’en étais venu à me sentir quasi invulnérable. Or il ne faut jamais perdre son humilité face à la maladie. Personne ne possède d’arme invincible contre elle, les meilleures techniques de la médecine moderne peuvent être mises en déroute. C’est une grave erreur d’oublier à quel point la biologie est déterminante.

David Servan-Schreiber

La douleur de l’autre

On a beau faire, s’apitoyer, compatir, essayer de comprendre, on ne peut jamais vraiment ressentir la douleur qu’éprouve l’autre, ni dans sa tête ni dans son corps… Et sans doute que c’est mieux ainsi.

Claudie Gallay

Présence de la voix

C’est après la fin que l’on se rend compte de la présence de la voix. Avec une personne vivante, le présent de la voix s’intègre dans la présence de la personne, qui brille dans la vie.

Ryoko Sekiguchi

La charité

La charité va malheureusement de soi. La charité marche toute seule. Pour aimer son prochain il n’y a qu’à se laisser aller, il n’y a qu’à regarder tant de détresse. Pour ne pas aimer son prochain il faudrait se violenter, se torturer, se tourmenter, se contrarier.
Charles Péguy

Simple voyelle – Esther Nirina

Quel doigt
Osera indiquer
La pomme à sept pépins
Qui vient germer
Dans la morsure du vent
Et
Montera plus haute
Que le phare
Sur l’horizon plat ?

Quand le fleuve suit son cours librement
Et qu’en profondeur déplace
Les cailloux
Que le mouvement du sable
Nivèle… dénivèle
L’eau coule toujours vers la mer promise

Des yeux multiples remontent à la surface
Des regards brillants clignotent
Sous ces paupières humides

Et le silence
Précède
L’éclatement des chants nouveaux
Aux résonances de la création

Celui qui veut cueillir
Les simples mots
De ces racines
Dans l’univers illimité
Découvre l’heure à sa portée

Dans un silence presque palpable
Le vent semble immobile
Les éclairs déchargent leurs flammes
aériennes

Un seul roulement de son qui tonne
Un chœur de basse qui gronde
Derrière un ciel nébuleux

Cette atmosphère chaque fois
Me renvoie dans l’espace
Du ventre maternel

C’est la pluie
Signe précédant la vie
N’est-ce pas elle qui rend toute chose humide
Avant que le soleil fasse éclater les bourgeons

Son murmure confidentiel sur les feuilles
Ses larmes qui ruissellent sur les vitres
Son doigté magique sur les toits
Son bruissement avec le vent

Réveillent et rappellent en moi
L’univers jusqu’ici oublié

Qui a senti l’odeur de la terre mouillée
Comprend combien sa chair fraîche
en est un extrait

Dis-moi amie du coin du feu
À l’écoute de ta simple symphonie
Plus profond devient l’écho de mon âme…

Laissez-moi naître à nouveau
Dans ce pays que j’ai connu hors du
temps
Antérieur au commencement
Ce pays où tout fut clair simple innocent

Laissez-moi me réchauffer du soleil
Inondant la vaste clairière
Demeure des êtres qui
Par le pouvoir d’un geste
D’un cri
Créent re-créent la vie

Dans ces lieux les étoiles chuchotent
Des cantiques
Les herbes
Les pétales deviennent
Reflets de notre Nous
Le tremblement des feuilles
Le mouvement des eaux
L’imperfection des pierres
Explorent notre for intérieur

Je ne rêve ni de fuite ni d’évasion
Simplement à la résurrection
Avec tous ses chevaux

Laissez-moi naître à nouveau.

Esther Nirina