Même quand les artistes sont maladroits, quand leurs pensées sont confuses, quand leurs gestes sont inaboutis, les performances disent obstinément quelque chose de vrai. En 1971, Faith Wilding est assise sur une chaise au milieu du public. Sa voix est un peu désagréable, sa présence manque de force, son texte est banal. Emballée dans une longue jupe rayée, mains jointes sur les genoux serrés, elle se balance d’avant en arrière et psalmodie la longue litanie de son œuvre « Waiting » (Attendre) : « …attendre d’avoir un petit ami, attendre d’aller à une soirée, attendre d’être invitée à danser… attendre d’être belle, attendre le secret, attendre que la vie commence, attendre…, attendre qu’il tombe amoureux, attendre qu’il m’embrasse, attendre de se marier, attendre ma nuit de noces, attendre qu’il rentre à la maison, attendre qu’il cesse d’être de mauvaise humeur, attendre qu’il me prenne la main, attendre d’être comblée… attendre que mon corps s’abîme, attendre de devenir laide, attendre que la douleur cesse, attendre d’être libérée… Attendre. » Sous le stéréotype qu’elle ritualise, sous la dénonciation, l’artiste ressemble »vraiment » à une aliénée de la condition féminine, une traumatisée de l’incarcération domestique. Trop d’adhésion à son sujet. Son corps, sa voix. Quelque chose qui geint. Dans l’exposition où je découvre, déjà ennuyée, la vidéo de cette performance qui a fait un tabac dans les universités américaines à sa création, j’entends, pendant que l’incantation se poursuit, une bribe de conversation chuchotée : ça, au moins, c’est parlant, dit une voix avec conviction, ça fait penser à des choses. Sans tourner la tête, je disloque mon regard de côté pour identifier deux petites dames qui devaient avoir trente ans en 1971. Elles regardent la vidéo avec la concentration songeuse qu’on met à feuilleter un album de famille. Oui, murmure l’autre en contenant mal son émotion, c’est mieux que la peinture, ça rappelle
Nathalie Léger