Vivre

Il ne suffit pas de dire que nous ne nous mettons pas tout seuls au monde et que nous ne sommes pas à l’initiative de notre naissance ; il importe de reconnaître que cet événement capital, par rapport auquel nous datons tous les événements de notre vie, n’est pas un souvenir. Abandonnant le plan de l’expérience vécue, je dois me placer en spectateur de cet événement objectif dont je ne sais quelque chose que par le récit que m’en font les autres. D’une manière générale, je me trouve toujours après ma naissance, car j’ai été mis au monde avant de pouvoir poser volontairement aucun acte. Tout se passe comme si il y avait deux commencements, l’un qui serait celui de ma vie, l’autre qui renverrait à mes actes ou à ma liberté.Mes ancêtres sont le fondement de mon existence ; il y a le trouble de plusieurs existences derrière moi. Certes, exister, c’est être pour soi le centre de son existence, à partir de laquelle « irradient son aval et son amont ». On dira : je suis issu d’Untel et d’Unetelle, au lieu de parler de ses aïeux comme d’une cause. La conscience de soi est l’acte par lequel j’intègre et assume ce que je suis, c’est à dire aussi mon caractère, qui « me serre de si près ». Vivre, c’est donc « consentir à être né », consentir à la vie avec ses chances et ses obstacles, tout en assumant la limite qui me fuit et qui est celle de ma naissance.

Corine Pelluchon

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