Bonheur

S’il n’y avait qu’un mot, ce serait celui-ci. Bonheur, ce luxe douloureux, ce beau souci. Pendant des siècles et des siècles, les hommes en ont fait l’économie. Ils chassaient seulement la joie ou le plaisir, résignés à n’espérer une satisfaction durable qu’au-delà de cette vallée de larmes appelée la vie. Et puis ils ont commencé à vouloir s’accomplir sur la terre. Alors est née l’idée, alors est né le mot. Bonheur. Un mot très sourd. Le b comme un début de bulle, comme un désir d’envol. Mais la seconde syllabe dure dans le feutré profond, semble épouser l’horizontalité à peine courbe de la planète. Bonheur. Beaucoup prétendent n’y pas croire, et le conjuguent seulement au passé inconscient, au futur impossible. Le monde nous envoie sans cesse les pires nouvelles, mais nous ne sommes pas dupes : tout ce pessimisme n’aurait de sens s’il n’y avait la certitude qu’autre chose nous mène, qui dépasse de beaucoup la zénitude, la paix, l’équilibre ou l’harmonie. Un quelque chose si discret, presque impossible à dire, et qui trouve pour se nommer un mot si retenu, dont l’écho grave se prolonge à tout jamais. Bonheur.
Philippe Delerme

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