Cette vie humaine

C’est inexplicable cette vie humaine. Personne n’a de vie en soi ; on vit toujours pour quelqu’un d’autre. Regarde cette fleur sauvage qui ne porte même pas de nom. Comme elle est pleinement elle-même, sous prétexte de l’aimer, je la cueille, et je mets fin à son destin. Ainsi sur cette terre, sous ce ciel, quelqu’un vit innocemment sa vie ; d’autres, s’accordant des droits sur lui, font négligemment un geste pour l’interrompre, avant de disparaître un jour eux-mêmes, sans que personne ait jamais su pourquoi. Oui, pourquoi ?

François Cheng

Le plagiat fait sens

Nous savons tous qu’il y a un nombre restreint d’idées originales, et que plus on écrit, plus le plagiat fait sens. Comme la marijuana, il faudra considérer sa légalisation. On doit en arriver là quand on sait qu’avec le temps et la quantité de livres publiés il n’y a plus de phrases originales. Toutes les phrases que vous pouvez écrire l’ont été déjà des milliers de fois. (…) Imaginer qu’Ovide réclame un copyright sur l’amour. Homère, sur la guerre. Dante sur l’Enfer. Euripide sur la vengeance (Médée). L’Evangile sur l’Apocalypse. Et tant d’autres encore. Comme vous le voyez il n’y a pas un seul sujet intéressant qui ne soit déjà pris.

Dany Laferrière

Le temps

Le temps passe et n’attend personne. Toutes les amarres du monde ne sauraient le retenir. Il n’a pas de port d’attache, le temps ; ce n’est qu’un coup de vent qui passe et qui ne se retourne pas.

Yasmina Khadra

Les ronces de la vie

Les portes sont grandes ouvertes à ceux qui font choix de chercher à se connaître. Mais passé le seuil, le parcours devient périlleux, miné de toutes ces choses que nous refusons de croire, de nos blessures qui grondent à l’unisson. Les ronces de la vie laissent des cicatrices que nous ne voulons pas voir.

Patrice Trigano

Sa vie dans les livres

Parce qu’elle avait passé sa vie dans les livres, elle ne se forgeait plus d’illusions sur eux, elle savait que les livres mentent, crient, se contredisent ; ils ont la bouche sale, les livres, ils ont trop mangé, trop vomi, trop mâché, trop régurgité, trop baisé, trop étreint. Quand elle entrouvrait un volume, elle en trouvait désormais l’odeur nauséabonde.

Eric-Emmanuel Schmitt

Qu’est-ce qu’on devient ?

Qu’est-ce qu’on devient quand on oublie les connexions enfantines, quand on les range dans un coffre du cerveau et qu’on ferme à clef comme un grenier pour jouets cassés ? Puis, Qu’est-ce qu’on devient quand on a terminé d’être amants, que ça y est, on est casé, que c’est sûr, que ça devient une fatalité ? et encore, Qu’est-ce qu’on devient lorsqu’on laisse s’évaporer nos propres rêves, quand on les regarde s’éloigner comme des petits nuages blancs emportés par la brise, ces fameux rêves qui irriguent l’espoir et toute la machine à pétiller de l’esprit ? Qu’est-ce qu’on devient quand tout ça s’assèche petit à petit que même la notion de jeu devient étrangère et que même l’idée d’adrénaline fait peur ?. .. Qu’est-ce qu’on devient quand on ne se jette plus dans le feu de l’action et qu’on se met à tout trouver sympa au lieu d’aimer vraiment les choses ?

Mathias Malzieu