Je l’ai remarqué souvent : les gens dont les premières années ont été dévastées par un excès de misère, d’humiliation, de peur, ou — surtout — de ressentiment, ne sont capables, dans leur maturité, que de satisfactions abstraites : argent, honneurs, notoriété, puissance, respectabilité. »
« Dans toute mon existence, je n’ai rencontré personne qui fût aussi doué que moi pour le bonheur, personne non plus qui s’y acharnât avec tant d’opiniâtreté. Dès que je l’eus touché, il devint mon unique affaire. Si on m’avait proposé la gloire, et qu’elle dut être le deuil éclatant du bonheur, je l’aurais refusée. Il n’était pas seulement cette effervescence dans mon cœur : il me livrait, pensais-je, la vérité de mon existence et du monde. Cette vérité, j’exigeais plus passionnément que jamais de la posséder ; le moment était venu de confronter les choses en chair et en os avec les images, les fantasmes, les mots qui m’avaient servi à anticiper leur présence. (…) En 1929, je croyais à la paix, au progrès, aux lendemains qui chantent. Il fallait que ma propre histoire participât à l’harmonie universelle.
Simone de Beauvoir