Comme mon enfance fut rêveuse !

Oh ! oui ! combien d’heures se sont écoulées dans ma vie, longues et monotones, à penser, à douter ! Combien de journées d’hiver, la tête baissée devant mes tisons blanchis aux pâles reflets du soleil couchant, combien de soirées d’été, par les champs, au crépuscule, à regarder les nuages s’enfuir et se déployer, les blés se plier sous la brise, entendre les bois frémir et écouter la nature qui soupire dans les nuits !
Oh ! comme mon enfance fut rêveuse ! Comme j’étais un pauvre fou sans idées fixes, sans opinions positives ! Je regardais l’eau couler entre les massifs d’arbres qui penchent leurs chevelures de feuilles et laissent tomber des fleurs, je contemplais de dedans mon berceau la lune sur son fond d’azur qui éclairait ma chambre et dessinait des formes étranges sur les murailles ; j’avais des extases devant un beau soleil ou une matinée de printemps, avec son brouillard blanc, ses arbres fleuris, ses marguerites en fleurs.
J’aimais aussi, – et c’est un de mes plus tendres et délicieux souvenirs, – à regarder la mer, les vagues mousser l’une sur l’autre, la lame se briser en écume, s’étendre sur la plage et crier en se retirant sur les cailloux et les coquilles.
Je courais sur les rochers, je prenais le sable de l’océan que je laissais s’écouler au vent entre mes doigts, je mouillais des varechs et j’aspirais à pleine poitrine cet air salé et frais de l’océan qui vous pénètre l’âme de tant d’énergie, de poétiques et larges pensées ; je regardais l’immensité l’espace, l’infini, et mon âme s’abîmait devant cet horizon sans bornes.

Gustave Flaubert

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