Miracle de la nature

A bien y réfléchir, le corps de la femme incarne le plus ardent miracle de la nature. Ou, plus précisément, c’est la nature qui en elle se résume en miracle. N’est-il pas vrai que toute la beauté de la nature s’y trouve : douce colline, secrète vallée, source et prairie, fleur et fruit ? Ne faut-il pas appréhender ce corps comme un paysage ?
François Cheng

Soleil illusoire

Je suis toujours étonnée de voir à quel point les gens ont peur du noir, alors qu’ils se sentent en parfaite sécurité pendant la journée, comme si le soleil leur apportait une protection absolue contre les forces du mal. Pourtant c’est faux. Le soleil ne fait que vous bercer de sa douce chaleur, avant de vous balancer tête la première dans la poussière. La lumière du jour n’a pas de vertu protectrice. L’horreur peut surgir à tout moment, le malheur n’attend pas après le dîner.

Katja Millay

Les ombres autrefois

Dans l’épuisement du matin
l’homme est courbé comme le saule
au bord de la rivière mauve
l’homme se prend la tête à deux mains

je me sens couler doucement
entre les roseaux de la rive
je ne rime plus je dérive
un papillon mon ultime compère

attrape un rayon de soleil
il ne sait rien de la durée
mais quant à moi j’ai trop duré
je demande que l’on me laisse

Jean-Claude Pirotte

Le plaisir de la phrase

Le plaisir de la phrase est très culturel. L’artefact créé par les rhéteurs, les grammairiens, les linguistes, les maîtres, les écrivains, les parents, cet artefact est mimé d’une façon plus ou moins ludique; on joue d’un objet exceptionnel, dont la linguistique a bien souligné le paradoxe : immuablement structuré et cependant infiniment renouvelable : quelque chose comme le jeu d’échecs.

Roland Barthes

Histoires séduisantes

Ce qui me touche et me séduit dans les livres, les films, le théâtre, plus que les histoires elles-mêmes, c’est ce qui les habille. La façon dont on me les raconte, leur texture, le tissu dont elles sont tissées, leur grain comme on dit en photographie.

Jean-Claude Mourlevat

Murmures

Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi.
Carole Martinez (Du domaine des murmures)

Etres de désir

Les humains sont des êtres de désir, et le désespoir leur arrache leur propre essence, les dessèche, les étripe, les ruine, les expulse d’eux-mêmes par le chemin modéré et trompeur qui conduit au destin des choses, à la fatigue des végétaux poussiéreux, des minéraux enterrés et inertes.
Almudena Grandes

Les larmes

Quel phénomène étrange que les larmes ! Présentes dans la douleur comme dans la joie, hypocrites ou attendrissantes, elles glissent d’une émotion à l’autre. Sincères ou fallacieuses, elles ne sombrent jamais dans l’indifférence !
Lise Bergeron