Je n’ai jamais eu d’enfants. Je n’en ai jamais voulu. Tu me l’aurais sans doute reproché. Le corps des femmes, le mien, celui de ma mère, celui de toutes les autres dont le ventre se gonfle puis se vide, a été pour moi définitivement défiguré par les camps. J’ai en horreur la chair et son élasticité. J’ai vu là-bas s’affaisser les peaux, les seins, les ventres, j’ai vu se plier, se friper les femmes, le délabrement des corps en accéléré, jusqu’au décharnement, au dégoût et jusqu’au crématoire. Je détestais notre promiscuité, l’intimité violée, la difformité, le frôlement des silhouettes en fin de course. Nous étions les miroirs les unes des autres.
Marceline Loridan-Ivens