A travers l’alimentation, on peut tout faire, on peut faire de la politique, de l’économie, de la sociologie. On a tort de penser seulement à la débauche de ceux qui peuvent manger beaucoup et bien. Parce que le plus grand patrimoine de la gastronomie, par exemple, ce sont les femmes qui l’ont accumulé en inventant des plats très humbles qui ont rassasié l’humanité, des plats faits avec le peu dont elles disposaient, mais si goûteux et nourrissants qu’ils sont entrés dans l’histoire et les traditions des peuples. Ce ne sont pas les plats inventés par les chefs ; eux ils viennent après et c’est autre chose, ils ont certainement leur part dans l’histoire de la gastronomie mais elle est moins grande que cet incroyable patrimoine culturel qui nous a été offert par les plus humbles, femmes et hommes. La grande gastronomie naît dans les maisons paysannes, dans l’économie rurale qui n’avait rien mais réussissait à créer des plats extraordinaires. C’est cela qu’il faut comprendre pour saisir quel pouvoir elle peut avoir, autrement nous finirons tous abrutis autour de la cuisine-spectacle à la télé qui fait un malheur sous toutes les latitudes : lacunaire, souvent ignorante, devenue insupportable. La gastronomie c’est autre chose, c’est une science noble dans toutes ses composantes, qui sont si nombreuses et concernent tous les niveaux de la société.
Luis Sepúlveda
Carlo Petrini