La rencontre

On rencontre quelqu’un, en personne ou par écrit. La première étape consiste à constater l’existence de l’autre : il peut arriver que ce soit un moment d’émerveillement. À cet instant, on est Robinson et Vendredi sur la plage de l’île, on se contemple, stupéfait, ravi qu’il y ait dans cet univers un autre aussi autre et aussi proche à la fois. On existe d’autant plus fort que l’autre le constate et on éprouve un déferlement d’enthousiasme pour cet individu providentiel qui vous donne la réplique. On attribue à ce dernier un nom fabuleux : ami, amour, camarade, hôte, collègue, selon. C’est une idylle. L’alternance entre l’identité et l’altérité (“C’est tout comme moi ! C’est le contraire de moi !”) plonge dans l’hébétude, le ravissement d’enfant. On est tellement enivré qu’on ne voit pas venir le danger. Et soudain, l’autre est là, devant la porte. Dessaoulé d’un coup, on ne sait comment lui dire qu’on ne l’y a pas invité. Ce n’est pas qu’on ne l’aime plus, c’est qu’on aime qu’il soit un autre, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas soi. Or l’autre se rapproche comme s’il voulait vous assimiler ou s’assimiler à vous. On sait qu’il va falloir mettre les points sur les i. Il y a diverses manières de procéder, explicites ou implicites. Dans tous les cas, c’est un passage épineux. Plus de deux tiers des relations le ratent. S’installent alors l’inimitié, le malentendu, le silence, parfois la haine. Une mauvaise foi préside à ces échecs qui allègue que si l’amitié avait été sincère, le problème ne se serait pas posé. Ce n’est pas vrai. Il est inévitable que cette crise surgisse. Même si on adore l’autre pour de bon, on n’est pas prêt de l’avoir chez soi.

L’illusion serait de croire que l’échange épistolaire protégerait de cet écueil. C’est faux. Les autres ont tant de façons de débarquer chez vous et de s’imposer. Les gens sont des pays. Il est merveilleux qu’il en existe tant et qu’une perpétuelle dérive des continents fasse se rencontrer des îles si neuves. Mais si cette tectonique des plaques colle le territoire inconnu contre son rivage, l’hostilité apparaît aussitôt. Il n’y a que deux solutions : la guerre ou la diplomatie.

Amélie Nothomb

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