LA GOUTTE DE PLUIE

Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer.
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.

Jules Supervielle

Les images, ces passerelles

Le poète dépend du monde comme la fleur de sa tige. Il passe sa vie à chercher l’équilibre, à répartir son poids, et c’est de cet exercice de jongleur que naissent les images, ces passerelles amovibles jetées au-dessus de l’abîme.
Ferenc Rákóczy

Marseille

On ne comprend rien à cette ville si l’on est indifférent à sa lumière. Elle est palpable, même aux heures les plus brûlantes. Quand elle oblige à baisser les yeux. Marseille est ville de lumière. Et de vent. Ce fameux mistral qui s’engouffre dans le haut de ses ruelles et balaie tout jusqu’à la mer. Jusqu’au large de Pomègues et Ratonneau, les îles du Frioul. Jusqu’après Planier, le phare, aujourd’hui éteint, reconverti en école de plongée, qui indiquait à tous les marins du monde que Marseille était à portée de main, et que ses femmes, pute ou pas, leur feraient oublier la passion des mers et des îles lointaines.
Marseille, à vrai dire, on ne peut l’aimer qu’ainsi, en arrivant par la mer. Au petit matin. A cette heure où le soleil, surgissant derrière le massif de Marseilleveyre, embrase ses collines et redonne du rose à ses vieilles pierres.
Jean-Claude Izzo

Votre livre

Votre livre terminé est devenu un objet, une sorte de magma un peu pâteux, une masse informe dont vous avez une vision de détails, mais pas de vue d’ensemble.
Patrick Modiano

Les souffrances humaines

À l’exception des catastrophes naturelles, la majorité des souffrances humaines sont dues à la malveillance, l’avidité, la jalousie, l’indifférence, bref à l’attitude égocentrique qui nous empêche de penser au bonheur d’autrui.
Matthieu Ricard

Quand on était heureux

Le piège, justement, c’est de croire qu’on est amarré. On prend des décisions, des crédits, des engagements et puis quelques risques aussi. On achète des maisons, on met des bébés dans des chambres toutes roses et on dort toutes les nuits enlacés. On s’émerveille de cette. .. Comment disait-on déjà ? de cette complicité. Oui, c’était ça qu’on disait, quand on était heureux. Ou quand on l’était moins. ..
Anna Gavalda

Un destin – Toulouse-Lautrec

Il ne fut jamais dupe. Ni des hommes ni des choses. Et de lui-même moins que de rien ou de personne. Sa vie fut un drame, une brève tragédie menée jusqu’à son terme en toute connaissance de cause, mais avec une telle discrétion, une telle horreur de la pitié -car un grand seigneur, voilà ce que fut, dans sa pleine force du terme, ce nabot disgracié- que même ceux qui le fréquentèrent n’en pressentirent pas toujours la douloureuse amertume. Jamais destin ne fut peut-être, en vérité, aussi clairement compris par celui qui l’assuma, ni vécu plus lucidement.

Henri Perruchot (La vie de Toulouse-Lautrec)