Lettre de Rimbaud à Verlaine

Les 4 et 5 juillet 1873

Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’ en repens plus qu’on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux, cher ami. Rien n’est perdu. Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah ! je t’en supplie. C’est ton bien d’ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J’espère que tu sais bien à présent qu’il n’y avait rien de vrai dans notre discussion. L’affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure là ! Que vas-tu faire ? Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ?
Oui c’est moi qui ai eu tort.
Oh ! tu ne m’oublies pas, dis ?
Non, tu ne peux pas m’oublier.? Moi, je t’ai toujours là.
Dis, réponds à ton ami, est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble ?? Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps.? N’écoute que ton bon cœur.
Vite, dis si je dois te rejoindre.
À toi toute la vie.

Rimbaud.

Vite, réponds : je ne puis rester ici plus tard que lundi soir.
Je n’ai pas encore un penny ; je ne puis mettre ça à la poste. J’ai confié à Vermersch tes livres et tes manuscrits. Si je ne dois pas te revoir, je m’engagerai dans la marine ou l’armée. Ô reviens, à toutes les heures je repleure. Dis-moi de te retrouver, j’irai, dis-le-moi, télégraphie-moi — Il faut que je parte Lundi Soir, où vas-tu ? Que veux-tu faire ?

Plus tard, Arthur Rimbaud reprend :

Cher ami, j’ai ta lettre datée « En mer ». Tu as tort, cette fois, et très tort. D’abord, rien de positif dans ta lettre : ta femme ne viendra pas, ou viendra dans trois mois, trois ans, que sais-je ? Quant à claquer, je te connais. Tu vas donc, en attendant ta femme et ta mort, te démener, errer, ennuyer des gens. Quoi ? toi, tu n’as pas encore reconnu que les colères étaient aussi fausses d’un côté que de l’autre ! Mais c’est toi qui aurais les derniers torts, puisque, même après que je t’ai rappelé, tu as persisté dans tes faux sentiments. Crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d’autres que moi ? Réfléchis-y ! — Ah ! certes non ! —
Avec moi seul tu peux être libre, et, puisque je te jure d’être très gentil à l’avenir, que je déplore toute ma part de torts, que j’ai enfin l’esprit net, que je t’aime bien, si tu ne veux pas revenir, ou que je te rejoigne, tu fais un crime, et tu t’en repentiras de LONGUES ANNÉES, par la perte de toute liberté, et des ennuis plus atroces peut-être que tous ceux que tu as éprouvés. Après ça, resonge à ce que tu étais avant de me connaître.
Quant à moi, je ne rentre pas chez ma mère. Je vais à Paris. Je tâcherai d’être parti Lundi Soir. Tu m’auras forcé à vendre tous tes habits, je ne puis faire autrement. Ils ne sont pas encore vendus, ce n’est que lundi matin qu’on me les emporterait. Si tu veux m’adresser des lettres à Paris, envoie à L. Forain, 289 rue St-Jacques, pour A. Rimbaud. Il saura mon adresse.
Certes, si ta femme revient, je ne te compromettrai pas en t’écrivant, — je n’écrirai jamais.
Le seul vrai mot, c’est : reviens, je veux être avec toi, je t’aime. Si tu écoutes cela, tu montreras du courage et un esprit sincère.
Autrement, je te plains.
Mais je t’aime, je t’embrasse et nous nous reverrons.

Rimbaud.

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