Poème de Marie Uguay

Je vous désire de nulle part
d’aucun mot décisif
mais d’une supplication invisible
où convergent tous les sentiments exaltés
(…)
Un iris balance ses pétales mauves
le soleil s’y noie
et toute une lourdeur de début et de fin de jour
s’est installée dans mon corps
je suis démantelée
sans plus d’appréhension et de mémoire
que cette lumière qui sombre
Je n’ai aucune promptitude
je suis là déchaînée mais inerte
Il n’y a plus que cette brisure ensoleillée
cette blanche impulsion où la vie se déploie
cet instinct de la lumière où tout vous constate en secret

Marie Uguay

Multiplier sa vie

Ecrire c’est une façon de connaître. Dans connaître il y a le mot naître. Naître sans cesse au réel d’une connaissance jamais intransigeante et dominatrice, mais toujours spéculative. C’est multiplier sa vie dans et par le langage, vivre comme dans un lieu où tout part et tout revient sans cesse. C’est approfondir la face autobiographique des rêves. C’est une autre forme de l’amour fou.

Marie Uguay

Les mots comme des miroirs

Les mots accomplissent un travail de révélation semblable au travail de guérison. Quand nous les laissons librement devant nous, ils voient au-delà de ce que perçoit notre regard et nous dévoilent ainsi à nous-mêmes. Et si on leur donne toute la place, ils diront ce qu’ils savent, et ce que l’on ignore encore. Les mots œuvrent comme des miroirs et nous invitent à la rencontre de notre visage. Ils tâtonnent dans les endroits les moins éclairés de l’être pour trouver ces échappées de lumière qui résistent, déposent leur pollen sur ces petits riens tapis dans l’angle mort de notre vie et qui en rappellent le miracle. Et souvent, au cœur de l’aventure à laquelle les mots nous convient, survient un apaisement, une délivrance même, quelque chose de très proche de ce qu’on appelle guérison.

Hélène Dorion

.

L’armure des jeunes

L’ingratitude irréfléchie est l’armure des jeunes; sans cela, comment traverseraient-ils l’existence?… S’ils ne se protégeaient pas derrière une façade revêche et la désinvolture, tous les enfants seraient écrasés par le passé – le passé des autres, qu’on leur collerait sur les épaules. C’est l’égoïsme qui les sauve.

Margaret Atwood

Absences – Paul Éluard

La plate volupté et le pauvre mystère
Que de n’être pas vu.

Je vous connais, couleur des arbres et des villes,
Entre nous est la transparence de coutume
Entre les regards éclatants.
Elle roule sur pierres
Comme l’eau se dandine.
D’un côté de mon cœur des vierges s’obscurcissent,
De l’autre la main douce est au flanc des collines.
La courbe de peu d’eau provoque cette chute,
Ce mélange de miroirs.
Lumières de précision, je ne cligne pas des yeux,
Je ne bouge pas,
Je parle
Et quand je dors
Ma gorge est une bague à l’enseigne de tulle.

II

Je sors au bras des ombres,
Je suis au bas des ombres,
Seul.

La pitié est plus haut et peut bien y rester,
La vertu se fait l’aumône de ses seins
Et la grâce s’est prise dans les filets de ses paupières.
Elle est plus belle que les figures des gradins,
Elle est plus dure,
Elle est en bas avec les pierres et les ombres.
Je l’ai rejointe.

C’est ici que la clarté livre sa dernière bataille.
Si je m’endors, c’est pour ne plus rêver.
Quelles seront alors les armes de mon triomphe ?
Dans mes yeux grands ouverts le soleil fait les joints,
Ô jardin de mes yeux !
Tous les fruits sont ici pour figurer des fleurs,
Des fleurs de la nuit,
Une fenêtre sans feuillage
S’ouvre soudain dans son visage.
Où poserai-je mes lèvres, nature sans rivage ?

Une femme est plus belle que le monde où je vis
Et je ferme les yeux.
Je sors au bras des ombres,
Je suis au bas des ombres
Et des ombres m’attendent.

Paul Éluard