Mois : juillet 2016
Mystère de femme
Mystère de femme, promise à la défaite dans son combat contre le temps ! Et pourtant, les femmes d’aujourd’hui, tout en se sachant battues d’avance, résistent jusqu’au bout, derrière leurs robes à fleurs, leur bijoux en or, leur fard et leur rouge à lèvre.
Chi Li
C’est la Ouate – Caroline Loeb
https://youtu.be/L9tsHcnX654
Art poétique – Paul Verlaine
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !
Prends l’éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
La bêtise
Il n’est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage, elle peut se mouvoir dans toutes les directions et prendre tous les costumes de la vérité. La vérité, elle, n’a jamais qu’un seul vêtement, un seul chemin : elle est toujours handicapée.
Robert Musil
Ce monde
Maintenant, je sais. Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde.
Albert Camus
La conscience
Il y a dans un coin du cerveau de l’homme, sous la voûte de son crâne, une lumière qui brûle pour lui seul, qui lui fait voir les vrais contours de la vie, qui lui montre, au milieu du vague chemin que lui trace la destinée, le bien et le mal, le juste et l’injuste, la droiture et la félonie ; cette lumière, c’est la conscience !.
Alexandre Dumas (La Conscience)
L’amour et sa loi
L’amour se fout des raisons de son existence. L’amour est un sentiment totalitaire : il n’accepte aucune contradiction, contestation ou controverse. Il vous demande de vous plier à sa loi, de remiser vos facultés intellectuelles derrière des images aux couleurs pastel. Il exige votre servitude et vous promet, en retour, le bonheur de l’irresponsabilité.
Thierry Cohen (Longtemps, j’ai rêvé d’elle)
Lettre de Rimbaud à Verlaine
Les 4 et 5 juillet 1873
Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’ en repens plus qu’on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux, cher ami. Rien n’est perdu. Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah ! je t’en supplie. C’est ton bien d’ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J’espère que tu sais bien à présent qu’il n’y avait rien de vrai dans notre discussion. L’affreux moment ! Mais toi, quand je te faisais signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure là ! Que vas-tu faire ? Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ?
Oui c’est moi qui ai eu tort.
Oh ! tu ne m’oublies pas, dis ?
Non, tu ne peux pas m’oublier.? Moi, je t’ai toujours là.
Dis, réponds à ton ami, est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble ?? Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps.? N’écoute que ton bon cœur.
Vite, dis si je dois te rejoindre.
À toi toute la vie.
Rimbaud.
Vite, réponds : je ne puis rester ici plus tard que lundi soir.
Je n’ai pas encore un penny ; je ne puis mettre ça à la poste. J’ai confié à Vermersch tes livres et tes manuscrits. Si je ne dois pas te revoir, je m’engagerai dans la marine ou l’armée. Ô reviens, à toutes les heures je repleure. Dis-moi de te retrouver, j’irai, dis-le-moi, télégraphie-moi — Il faut que je parte Lundi Soir, où vas-tu ? Que veux-tu faire ?
Plus tard, Arthur Rimbaud reprend :
Cher ami, j’ai ta lettre datée « En mer ». Tu as tort, cette fois, et très tort. D’abord, rien de positif dans ta lettre : ta femme ne viendra pas, ou viendra dans trois mois, trois ans, que sais-je ? Quant à claquer, je te connais. Tu vas donc, en attendant ta femme et ta mort, te démener, errer, ennuyer des gens. Quoi ? toi, tu n’as pas encore reconnu que les colères étaient aussi fausses d’un côté que de l’autre ! Mais c’est toi qui aurais les derniers torts, puisque, même après que je t’ai rappelé, tu as persisté dans tes faux sentiments. Crois-tu que ta vie sera plus agréable avec d’autres que moi ? Réfléchis-y ! — Ah ! certes non ! —
Avec moi seul tu peux être libre, et, puisque je te jure d’être très gentil à l’avenir, que je déplore toute ma part de torts, que j’ai enfin l’esprit net, que je t’aime bien, si tu ne veux pas revenir, ou que je te rejoigne, tu fais un crime, et tu t’en repentiras de LONGUES ANNÉES, par la perte de toute liberté, et des ennuis plus atroces peut-être que tous ceux que tu as éprouvés. Après ça, resonge à ce que tu étais avant de me connaître.
Quant à moi, je ne rentre pas chez ma mère. Je vais à Paris. Je tâcherai d’être parti Lundi Soir. Tu m’auras forcé à vendre tous tes habits, je ne puis faire autrement. Ils ne sont pas encore vendus, ce n’est que lundi matin qu’on me les emporterait. Si tu veux m’adresser des lettres à Paris, envoie à L. Forain, 289 rue St-Jacques, pour A. Rimbaud. Il saura mon adresse.
Certes, si ta femme revient, je ne te compromettrai pas en t’écrivant, — je n’écrirai jamais.
Le seul vrai mot, c’est : reviens, je veux être avec toi, je t’aime. Si tu écoutes cela, tu montreras du courage et un esprit sincère.
Autrement, je te plains.
Mais je t’aime, je t’embrasse et nous nous reverrons.
Rimbaud.