Il pleut, sur le ravin, sur le monde. Les huppes
Se sont posées sur notre grange, cimes
De colonnes errantes de fumée.
Aube, consens à nous aujourd’hui encore.
De la première guêpe
J’ai entendu l’éveil, déjà, dans la tiédeur
De la brume qui ferme le chemin
Où quelques flaques brillent. dans sa paix
Elle cherche, invisible. Je pourrais croire
Que je suis là, que je l’écoute. Mais son bruit
Ne s’accroît qu’en image. Mais sous mes pas
Le Chemin n’est plus le chemin, rien que mon rêve
De la guêpe, des huppes, de la brume.
J’aimais sortir à l’aube.
Le temps dormait
Dans les braises, le front contre la cendre
Dans la chambre d’en haut respiraient en paix
Nos corps que découvrait la décrue des ombres.
II
Pluie des matins d’été, inoubliable
Clapotement comme d’un premier froid
Sur la vitre du rêve ; et le dormeur
Se déprenait de soi et demandait
À mains nues dans ce bruit de la pluie sur le monde
L’autre corps, qui dormait encore, et sa chaleur.
(Bruit de l’eau sur le toit de tuiles, par rafales,
Avancée de la chambre par à-coups
Dans la houle, qui s’enfle, de la lumière.
L’orage
A envahi le ciel, l’éclair
S’est fait d’un grand cri bref,
Et les richesses de la foudre se répandent.)
III
Je me lève, je vois
Que notre barque a tourné, cette nuit.
Le feu est presque éteint.
Le froid pousse le ciel d’un coup de rame.
Et la surface de l’eau n’est que lumière,
Mais au-dessous ? Troncs d’arbres sans couleur, rameaux
Enchevêtrés comme le rêve, pierres
Dont le courant rapide a clos les yeux
Et qui sourient dans l’étreinte du sable.
Yves Bonnefoy