La vastitude de l’innommable

Il y a tout ce que nous comprenons, tout ce que nous sommes capables de transcrire en essayant d’être au plus près. Et puis il y a le reste. Tout le reste. Le monde des apparences, des silences. La vastitude de l’innommable.
Ce monde est intranscriptible. Il répond à une autre logique. Parfois même, il n’a aucune logique.
Il faut décoder.
Le déplacement imperceptible. Sans doute est-ce là ce fameux pas de côté cher à André Breton. La juste mesure à prendre pour avoir une vision différente.
Un pas peut suffire.
Claudie Gallay

Mystères

Comment expliquer que la connaissance avance si la pédagogie tourne en rond ? Beauté de la ligne droite, mystères des méandres. Fleuve de l’impermanence, montagne de l’accumulation.

Monique Larue

Mes soi-disant souvenirs

J’ai oublié mon enfance. Toute mon enfance. Je ne me rappelais rien avant mes huit ou neuf ans. Je me suis mis à reconstruire le temps perdu avec les vidéos de mon enfance, avec ce que ma famille me racontait. Et puis, très vite, les souvenirs ont commencé à venir, des tas de souvenirs qui remplissaient les lacunes de ma tête. Mais j’ai alors découvert que toutes ces réminiscences étaient fausses. Des preuves documentées m’ont démontré à plusieurs reprises que mes soi-disant souvenirs étaient en réalité des constructions imaginaires, des contes que mon cerveau blessé inventait activement pour reboucher le trou, pour remplir l’insupportable vide. Car le cerveau humain est un magicien, un prestidigitateur, un narrateur incontinent qui réécrit constamment la réalité, qui nous la traduit et la réinvente.

Rosa Montero (Le poids du cœur)

Il faut de l’amour de soi

J’entends souvent dire : « Il faut de l’ego pour réussir dans la vie. » Il y a confusion : pour bien vivre, il faut de l’amour de soi, et c’est très différent. L’ego est une image de nous-mêmes, fausse et réductrice, avec ses peurs, ses angoisses et ses certitudes. Il est le fruit de notre éducation et de la société, et il constitue un rempart nous empêchant de toucher à notre essence, à ce souffle qui nous anime.
Patricia Darré

Une dépression

Savoir à quel point il est possible de souffrir aura modifié ma perception du bonheur. Ce qui, auparavant, n’aurait été qu’un état banal, « normal », m’est devenu fort précieux. Et ne pas souffrir me semble aujourd’hui tenir de la grâce.

Céline Curiol

Le réveil

Il faut faire l’amour comme le pinceau traverse l’espace, il faut vivre comme les livres se font, dans la lenteur de l’urgence d’aimer. ..
Hafid Aggoune (Les avenirs)

L’ouvrage du temps

On a souvent parlé, dans l’histoire des arts, de la facilité avec laquelle de grands artistes exécutaient leurs ouvrages, et on en a cité qui savaient allier au travail le désordre et l’oisiveté même. Mais il n’y a pas de plus grande erreur que celle-là. Il n’est pas impossible qu’un peintre exercé, sûr de sa main et de sa réputation, réussisse à faire une belle esquisse au milieu des distractions et des plaisirs. Le Vinci, peignit quelquefois, dit-on, tenant sa lyre d’une main et son pinceau de l’autre ; mais le célèbre portrait de la Joconde resta quatre ans sur son chevalet. Malgré de rares tours de force, qui, en résultat, sont toujours trop vantés, il est certain que ce qui est véritablement beau est l’ouvrage du temps et du recueillement, et qu’il n’y a pas de vrai génie sans patience.
Musset

Le Buveur d’absinthe

Baudelaire est niché dans un recoin du cerveau de Manet et tient quelques fois son pinceau. Du « Vin des chiffonniers » de l’ami fardé, il tire son « buveur d’absinthe »
De sa déchéance naît le tableau de la misère répulsive d’une bohème qu’il aime et redoute à la fois.
Sophie Chauveau

Brumes de l’inconnaissance

A mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Parfois vous vous mettrez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.
Michel Houellebecq