L’affluensemence

Je sais,

sous ta chemise,

tes épaules de terre,

les méridiens d’amour,

lignes de force

de ton dos,

ce qui,

sous mes deux mains,

fait corps avec mes ondes

et j’attends, impatiente,

l’heure de ton torse nu.

L’affluensemence de l’amour

dans le sein du langage

clarifie la phrase

et ouvre la syntaxe à d’autres temps.

Mon frémissant,

nous marcherons ensemble jusqu’à

la rive étrange,

la clarté des regards offensant la lumière.

L’enluminure de nos corps enlacés

ornera le premier mot

de l’autre livre.

Chantal Dupuy-Dunier

Se faire désirer

Grave erreur souvent commise par la gent féminine à qui on enseigne bêtement depuis des siècles et de siècles qu’il faut se faire désirer. C’est tout le contraire : il ne faut surtout pas se faire désirer. L’homme du vingt-et-unième siècle est un être prosaïque et impatient à l’égo hypersensible. Si on lui met un râteau, il se vexe et passe à la suivante.

Marie Vareille

Des miroirs avantageux

Qui sommes-nous réellement les uns pour les autres? Des miroirs avantageux, qui poétisent nos moindres tares, jusqu’à ce qu’ils soient fatigués de nous rendre plus beaux que nature, jusqu’à ce qu’ils se ternissent ou volent en éclats, brisant notre reflet pour toujours. Et alors on tente en vain de le recomposer, mais les morceaux se mêlent, et notre visage ne sera plus jamais le même. Plus jamais.

Évelyne de la Chenelière

Dans mon vers je suis libre

Dans mon vers je suis libre : il est ma mer.
Ma mer vaste et dénuée d’horizons…

Dans mes vers je marche sur la mer,
je chemine sur les vagues dédoublées
d’autres vagues, et d’autres vagues. Je marche
sur mon vers; je respire, je vis, je croîs
en mon vers et en lui mes pieds ont
un chemin et mon chemin une direction et mes
mains ont de quoi tenir et mon espoir

de quoi espérer et ma vie a son sens.

Je suis libre en mon vers et il est libre
comme moi. Nous nous aimons. Nous nous avons.

En dehors de lui je suis petite et m’agenouille
devant l’oeuvre de mes mains, la
tendre argile pétrie entre mes doigts…
A l’intérieur de lui, je m’élève et je suis moi même.

Dulce Maria Loynaz, poétesse cubaine.

Je ne suis que passage

Comment vous parlerais-je
des fruits et de la neige
quand on m’a volé mon jardin
[…]
ami de l’éternel
je ne suis que passage
et je cherche comme toi
un ailleurs oublié
peut-être se cache-t-il
au fond de ton visage
dans le pli qui sépare
tes beaux seins enneigés

Julos Beaucarne (Mon terroir c’est les galaxies)

Les fêlures

En nous tous il y a une fêlure, nous emballons proprement la somme de nos expériences maladroitement collées les unes contre les autres pour nous défendre contre le monde. Et ce qui nous rend humains, c’est que, parfois, nous voyons rouge. Dans ces instants libérateurs, nous sommes plus proches des dieux que nous le soupçonnons.

Mark Lawrence